CNT – LE TOUQUET – @ mail : cnt@cercle-nautique-du-touquet.org

Cap Horn à la voile : Joshua de B Moitessier.

Salut les confinés 🙂
J’ai reçu ce petit mot qui m’a dans un premier temps étonné, puis à la lecture du texte, je me suis levé pour vous proposer cette page de littérature nautique. Ce court extrait captivant est largement amplifié par notre confinement viral actuel. Bonne Lecture et si vous en voulez encore …
J’ai ajouté un podcast sur Bernard Moitessier de France Culture qui allongera votre rêve quelque peu … ERIC

 » Bonjour a tous.

De quoi alimenter le bulletin du C N T .

En ces périodes d’oisiveté contrainte, j’ai proposé à Eric de revisiter les écrits de nos grands précurseurs. Ceux qui, en se lançant à bord de petits bateaux au travers des océans, nous ont laissé un sacré message : »vous voyez que c’est possible » nous entraînant dans des rêves de navigations inenvisageables.
L’un de ces défricheurs est assurément Jean Lacombe qui avec un « Cap-horn » puis avec un « Golif » n’ a pas craint d’affronter l’atlantique.
Une des pages qui m’a le plus marqué dans mes lectures de préparation au voyage, c’est celle qui relate la relation du skipper Bernard Moitessier et de son bateau »Joshua » dans une mer énorme en route vers le cap Horn. A bord de « Joshua »
Jacques .D « En ces périodes d’oisiveté contrainte, j’ai proposé à Eric de revisiter les écrits de nos grands précurseurs. Ceux qui, en se lançant à bord de petits bateaux au travers des océans, nous ont laissé un sacré message : »vous voyez que c’est possible » nous entraînant dans des rêves de navigations inenvisageables.
L’un de ces défricheurs est assurément Jean Lacombe qui avec un « Cap-horn » puis avec un « Golif » n’ a pas craint d’affronter l’atlantique.
Une des pages qui m’a le plus marqué dans mes lectures de préparation au voyage, c’est celle qui relate la relation du skipper Bernard Moitessier et de son bateau »Joshua » dans une mer énorme en route vers le cap Horn. A bord de « Joshua »
Jacques .D « 

Retranscription de quelques pages du livre de B.Moitessier « Cap horn a la voile »

Françoise et moi avons fait tout ce qui était humainement possible de faire pour que « Joshua »se présente là- bas dans un état qui ne ferait pas rougir celui dont il porte le prénom (Joshua Slocum)

Vers 6h du matin, nous courrons vent arrière à sec de toile sous un véritable coup de vent, le petit foc est rentré dans la cabine arrière, le panneau est bouclé par une manille afin qu’il ne puisse s’ouvrir en cas d’accident. Trinquette, grand- voile et artimon roulés en cigarette, ferlés très serrés sur les bômes pour offrir le minimum de prise au vent et à la mer.

Je débranche le pilote automatique et rentre la girouette pendant que Françoise barre de la cabine, capot fermé, assise sur la chaise du poste de pilotage, face à l’arrière, face aux lames.

Puis je file les cordages sur l’arrière, travaillant posément car Françoise tient le bateau bien en main, et dix minutes plus tard « Joshua »traine  une aussière de chanvre de 40 mètres, diamètre 35mm,  lestée de trois gueuses d’environ 20kg. 

Une aussière de chanvre de 30 mètres, diam.25mm.  lestée de deux gueuses de 20kg. Un nylon de 30mètres, dia.14mm lesté de deus gueuses de 20kg. Un nylon de 30 mètres, diam14 remorquant le gros filet genre ancre flottante . Un nylon de 100 m. diam.14mm traînant librement.

Pourquoi toutes ces gueuses ? pour que les cordages trainant un peu en oblique par rapport a l’horizontal grâce au poids des gueuses offrent plus de résistance et freinent davantage et empêchent le bateau de se faire lancer en avant à grande vitesse et planter dans la mer comme cela était arrivé à « Thu-Hang »

Françoise ……tu dors ? Que dis le baro ?

740 on dirait que ça ne baisse plus. Tu dois être crevé Bernard ?

« Joshua «  est de plus en plus difficile à maintenir mer de l’arrière car le freinage des aussières le rend moins manœuvrant. Les embardées se multiplient malgré la  barre toute sur un bord. Ce que je craignais vaguement finit par se produire, mais c’est de ma faute car mon attention a du se relâcher un peu après une quinzaine d’heures de barre. Déporté par une lame « Joshua » se met en travers et quand la déferlante arrive c’est trop tard. Une cataracte d’eau glacée me dégouline dans le cou, suivie d’une gite rapide s’accentuant implacablement bien que sans brutalité pendant que tous les bruits extérieurs s’estompent remplacés brusquement par le tintamarre d’une cascade d’objets dévalant à travers la cabine ……..trois ou quatre secondes…. et « Joshua «  se redresse.

Bernard … !

Qu’est-ce que tu as ?….tu es blessée? non je croyais que le capot s’était ouvert et que tu n’étais plus là……tu es blessé ?

Non, un peu mouillé mais tout va bien….Joshua a repris son cap . Range la pagaille. Baro ? 739, il a encore baissé tout à l’heure il était à 740……j’ai cru qu’on avait chaviré, mais les conserves sont restées sous les planchers. On a dû mettre les mats dans l’eau, mais pas beaucoup plus, je suis bien réveillé maintenant.

Il ne faisait plus tout à fait nuit mais ce n’était pas encore l’aube, c’est pendant cette période de transition que le destin de « Joshua » a pris son tournant . Le bateau présente l’arrière à une lame rapide bien recourbée mais pas très grosse, sur le point de déferler……comme de ne pas déferler. La mer montre très souvent ce genre d’hésitation. Je suis parfaitement éveillé. Je crois même que je suis extra lucide à ce moment précis.

L’arrière se soulève, comme d’habitude et dans une brusque accélération, sans la moindre gite Joshua se plante dans la mer sous un angle d’une trentaine de degrés, jusqu’à l’amorce du roof. La moitié du bateau est sous l’eau. Presque aussitôt il émerge……nous avons failli sancir à cause d’une lame un peu nerveuse, je n’aurais pas cru cela possible.

Cette vérité aveuglante me frappe comme un coup de massue suivi d’un frisson glacé qui remonte le long du dos et me saisit la nuque. Je ne pense pas que ce soit la peur, il faut une raison pour avoir peur…Nos peaux arriveront toujours quelque part grâce à la coque acier. Mais ce que je ressens à ce moment est plus grave que la peur : je viens de comprendre que « Joshua » est un très bon bateau d’alizé mais n’a absolument rien à faire dans les parages où il se trouve en ce moment. Sa présence est déplacée sous les hautes latitudes du pacifique sud, où seuls les vrais bateaux ont le droit de naviguer. Mais alors comment faisait Vito Dumas qui prétendait torcher de la toile vent arrière par tous les temps…….Tu parles… ! il n’a jamais vu cette mer là….. Françoise …… j’étais sur le point de dire : »pardonne moi je me suis trompé c’est par Panama que nous devions rentrer….. »Joshua n’a rien dans le ventre « 

Baro ?

Bernard on dirait qu’il veut remonter ……je suis sûr qu’il touchait la barre des 739 la dernière fois et maintenant il ne la touche plus ……attention au cap, tu vas te mettre en travers, tu es plein Est au lieu de Sud–Est ……plein Est tu es sûre ?…Enfin le vent a tourné à l’Ouest la dépression s’éloigne et le baro va remonter aujourd’hui. Essaye de me faire du café….très fort…. Mon cerveau reprend un rythme normal avec l’aube, cela me fait penser à la phrase du chirurgien : »s’il tient jusqu’au jour, il s’en sortira. »

Mais enfin Vito Dumas quel était ton secret ? …..car c’est vrai tu as fait les trois océans par le sud , en solitaire avec un bateau beaucoup moins gros que le mien. Tu prétendais torcher de la toile par gros temps, je savais que c’était impossible …..et pourtant il y a du vrai là dedans. Mais comment faisais-tu ?

Françoise … c’est important attrape le bouquin de Merrien et cherche à Vito Dumas.

Voilà que faut-il lire ?

Prends le début du chapitre et lis moi tout ce qui est en italique. Je me souviens il y avait quelque chose d’important.

Voilà……heureusement la trinquette est solide.

Françoise cale-toi bien cette vague est méchante. Elle n’est pas énorme mais je l’ai reconnue c’est elle qui a failli nous planter toute à l’heure mais en plus méchante. Joshua présente presque l’arrière, il s’en faut d’une dizaine de degrés j’ai encore le temps de redresser. Je ne crois pas aux revenants et je n’aime pas me ridiculiser , mais je crois vraiment que …..attends, je vais te montrer …….c’est d’abord la gite de quelques degrés puis une longue glissade à une vitesse folle sans enfoncer l’avant ce qui est normal puisque la joue sous le vent s’appuie sur l’eau a la façon d’un ski. Quand le » planning « s’est terminé après une trentaine de mètres …….j’avais la réponse de Vito Dumas.

Françoise viens vite tu vas prendre la barre deux minutes…..je vais t’expliquer. Passe-moi le couteau……non pas celui-là, l’opinel. La mer brise en gros rouleaux puissants, mais cela n’empêche pas de séjourner un peu sur le pont pour y faire le travail à condition d’avoir l’œil sur les déferlantes  ………une deux trois quatre et cinq , tous les cordages sont tranchés en quelques coups de mon opinel qui coupe comme un rasoir.

Joshua devenu méconnaissable n’a plus rien à voir avec le pauvre bateau de la nuit dernière .iI court maintenant libre, à sec de toile, prend la gite quand la lame arrive sous 15 ou 20° démarre au surf en appuyant sa joue dans le creux et répond à la barre sans discuter pour revenir au vent arrière.

Les grosses déferlantes qui ont l’air de vouloir tout casser, aucune importance tant qu’elles sont reçues par le quart arrière.